dimanche 25 février 2018

Olivier Gallon ou l'écriture de la résonance syntaxe/histoire

Olivier Gallon, Comment va ta montagne ?, La Barque, 2017.

Je ne trouve pas si souvent une pensée de la résonance en littérature – c’est-à-dire pour vivre ! Je viens de la lire dans une formule écrite par Tatiana Nikishina dans la postface de Comment va ta montagne?, qui vient comme épouser les quatre moments de ce livre à l’énigme maintenue. Je viens de lire et relire Comment va ta montagne? en repensant aux livres rares de Georges Lambrichs. La formule donc est la suivante – je souligne : « nous nous retrouvons d’un coup désarmés dans ou devant cet espace d’extrême perméabilité, ouvert aux signes et aux significations, traversé par des images voisines, tout aussi lointainement rappelées, jusqu’à ce que la syntaxe entre dans l’histoire et l’histoire dans la syntaxe ».
L’espace est effectivement syntaxique ou plutôt ce serait l’histoire d’une phrase, donc si l’on veut bien entrer dans l’écoute, son phrasé. Mais rien n’est gagné d’avance dans cette aventure d’autant que l’enjeu, d’un tel phrasé reconfigurant l’espace ou joignant deux espaces, consiste bien à maintenir le risque de l’aventure, et d’abord un principe d’entrée en matière qui associe à un rire l’essoufflement ou, pour le moins, qui historicise une syntaxe de l’histoire à couper le souffle, parce que bien vivante. De cette vie que vous font des expériences de vie et ici de langage dont les résonances ou échos retentissent : « tirer la couverture à soi » peut aussi vouloir dire « pour se réchauffer » ! On se perd certainement mais se retrouver demande aussi de confondre le lieu d’une telle retrouvaille avec celui qui a perdu toute cartographie possible, comme aussi avec ceux dont la présence s’est perdue, où dont l’absence ne se peut savoir. Alors ces motifs qu’on peut dire protocolaires – au sens d’un dispositif d’expérience – engagent toute la lecture dans les problèmes de la relation et jamais de ses termes : se mettre à la place de quelqu’un d’autre, par exemple ! quelle expression, digne d’une « catastrophe naturelle », d’un retirement voire d’une fuite, mais en faisant attention, du moins en hésitant bien des fois, en comprenant aussi combien le continu de tout (les paysages et les gestes, les sensations et les formulations, une barque et un arbre - il faudrait signaler la parution du numéro 1 de la revue qu'anime Olivier Gallon après avoir longtemps animé La Barque (https://www.entrevues.org/aufildeslivraisons/barque-larbre-n1-hiver-2017-18/), etc.), est à entendre au cœur d’un silence même crié. La résonance est d’abord une question à répéter trois fois, « Où êtes-vous ? », sans espérer quelque réponse que ce soit autre que l’aventure d’un recommencement, d’une relecture, d’une écriture continuée. Comme cette barque du troisième texte qui relie ce qu’on ne peut vraiment saisir autrement qu’à l’embarquer mais « avec détachement, là où l’attachement ne manque pas » ! On aura compris que cette écriture ne se dérobe pas pour rien pas plus qu’elle ne se donne pour autre chose que de penser qu’elle nous voit nous dérober nous-mêmes ou qu’elle met notre lecture en situation de se donner à ce qui ne peut se savoir. La résonance est alors in fine – mais sans fin bien évidemment comme dans un éternel commencement de s’entendre – celle qui vient du « règne de la confusion ». Et pourtant, quelle force visible-audible : coup de tonnerre aussi près de l’éclair qu’il est possible pour que le « platane dinosaure » (la littérature ?) ait « sur son tronc deux cernes noirs qui lui faisaient des yeux ».

Olivier Gallon livre avec cette suite en quatre mouvements une résonance dont l’étendue refait notre vue de la voix. Alors notre voix embarque pour des histoires dont la syntaxe coupe le souffle. On est en fin de lecture (mais elle demande un recommencement) sans voix l’ayant pourtant retrouvée à vif.





P.S. : Les propos de l'éditeur sur le site (http://www.labarque.fr/livres20.html) :
Ce livre est composé de quatre proses : L'Entrée en matièreCatastrophe naturelleComment va ta montagne ?À la Tuilière.
Chacune, avec soin, nous fait découvrir un monde d’un fragile et étrange équilibre entre l’émotion et la pensée. Comment va ta montagne ?, qui a précisément donné son titre au livre, semble côtoyer le conte.
Chacune de ces proses s’inscrit dans une espèce de géographie et se partage « un paysage », à la fois matière sensible, lieu d’action ou bien milieu d’apparition (et de disparition).
D'une exigence poétique, ces proses, bien que distinctes, s’échangent dans un espace d’une extrême perméabilité, ouvert aux signes et aux significations, où, de l'une à l'autre, dans la résonance des échos proches et lointains, ce qui est dispersé se retrouve, se répond, ou simplement résonne. 

vendredi 9 février 2018

petite suite Fautrier


 La peinture est une chose qui ne peut que se détruire, qui doit se détruire, pour se réinventer.
Jean Fautrier

tu viens du noir ou
plutôt
tu grattes ce noir comme
l’obscur nous gratte dans
sa lumière
juste obtenue d’un ongle
sur ma peau mais
je te suis en forme
précise dans l’amas de mes mains
cette auréole  comme venue
de nos yeux
dans les yeux

et si la peinture danse comme
tes seins portent
en avant tout
le buste ou c’est comme les cils
du vent dans les arbres
tu penches vers nous perdre au tourbillon

comme les chats il dit
et il gratte
toute cette saleté de la peinture
de la vie
pour s’en aller où
mais très propre
les mains lavées comme après
une grande toilette
tu fais mon
élégance il redit

de la jolie fille au
fusillé c’est tu vois bien la même
peinture
comme ton geste
continué d’un jour à une nuit
d’une touche violente
dans ta douceur à peine ton grain
de couleur abouché mais alors
tu souffres quand
je jouis et
l’inverse disent ces tableaux
à plat sur notre table du matin
ils hurlent en silence et continuent
la poussée de nos vies
comme si on commençait

toute ta rage m’informe
hors de tout
arrêt sur une image
tout est à faire avec
toi
j’enrage sans avoir jamais
su bien nager
dans le monde de l’art
et de la vie
je sais qu’avec toi c’est toujours
un corps à corps à neuf